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SL : Pourquoi, 30 à 40 ans après, éditer ces dessins-projets qui n’avaient jamais été faits pour être exposés ou édités ? Quel intérêt pour vous et (ou) pour moi de reproduire ces esquisses maladroites dont les fonds blancs ont jauni et où les droites sont souvent courbes et les carrés rectangulaires, alors que depuis 30 ans, j’ai essayé de prouver qu’une droite : droite, un carré : carré, un blanc : blanc etc… pouvaient être de l’art, sans ajouter les imperfections exquises d’une exécution bâclée ?FM: Eh bien, j’ai deux raisons (une très bonne et une pas si mauvaise). La bonne raison, c’est que de 1951 à 1961 je n’ai eu aucun succès : une exposition personnelle (mais avec “participation” aux frais), 3 œuvres vendues (mais à d’autres peintres : Fontana, Gerslner, Vasarely).J’ai donc réalisé peu de ces peintures encombrantes et inutiles, mais j’ai, par contre, fait beaucoup de projets. Un projet de temps en temps, agrandi proprement et exactement, me permettait d’imaginer tous les autres, sans être obligé d’ajouter encore d’autres placards à mon atelier.Maintenant, la pression amicale de quelques amateurs, ajoutée à ma propre prétention, font que j’ai envie de montrer tout ce que j’aurais pu faire (ou plutôt ce que j’ai presque fait).Il m’était possible, bien sûr, de réaliser aujourd’hui ces projets. D’autres artistes l’ont fait et je l’ai fait moi-même, par exemple dans les années 70, pour des trames ou grillages des années 60. Mais là, quand il s’agit de 30 à 40 ans après, je trouverais vexant de perdre mon temps et mon énergie à copier un artiste qui pourrait être mon père.Voilà pour la première raison.Pour la seconde (la moins bonne, la plus trouble: ça me plaît de montrer que je connaissais cette sensibilité traditionnelle du trait irrégulier (imperfection du procédé ou de la main, que Stella, LeWitt, Mangold, etc ... ont si bien exploitée), de montrer que si cette sensibilité n’apparaissait pas dans mes peintures, ce n’était pas par ignorance culturelle ou insensibilité congénitale.J’ai même voulu reproduire des “projets de projets” qui sont des petits “gribouillages” plus ou moins spontanés que je cherchais ensuite dans d’autres projets à “traduire” systématiquement.Enfin, ce n’est pas seulement de l’auto-fétichisme qui m’a fait montrer tous ces morceaux de papier (oubliés dans un tiroir} sans pratiquement rien rejeter, c’est par souci d’objectivité, pour ne pas avoir à choisir, pour ne pas superposer mes goûts de 1981 à ceux des années 50. D’autant plus que n’arrivant plus, pour certains dessins, à retrouver leur système, leur justification (si elle a existé}, je préfère rester neutre et vous laisser, cher lecteur, la liberté de condamner ou de justifier).LEMOINE, Serge et MORELLET, François. François Morellet. Dessins, Paris : Skira, 1991
Died in 2016 in Cholet, France