Marie Bovo
Ravin de Fond basse, Montpezat Montagnac, lune gibbeuse croissante en Lion
Artwork
Marie Bovo
Ravin de Fond basse, Montpezat Montagnac, lune gibbeuse croissante en Lion
Tirage argentique chromogénique / Chromogenic silver print
126 x 100 cm (49 5/8 x 39 3/8 in.) Encadré / With frame: 130 x 104 cm (51 1/8 x 41 in.)

Need help

«… une plante a la mémoire de la lumière : elle se souvient de la couleur des derniers rayons qu’elle a captés. Si c’étaient des rayons infrarouges et qu’ensuite aucun autre type de rayons n’est arrivé, alors la plante peut-être certaine : c’est la nuit. (…) C’est ainsi sa très grande sensibilité à la nuit qui fait qu’elle sait quand vient l’automne, l’hiver et quand revient le printemps. »

Estelle Zhong Mengual, « Apprendre à voir »

Les forêts d’Hypnos

Peu avant que la nuit tombe, dans des lieux soigneusement choisis après les avoir arpentés de jour, Marie Bovo installe ses chambres photographiques dans la forêt, à l’endroit où elle pressent que la lumière de la Lune déposera sa clarté. Entre Nice et Marseille sur les rivages de la Méditerranée, là où la pollution lumineuse ne contredira pas la nuit, elle laissera se composer lentement, très lentement, à la surface du plan-film, des images qui portent en puissance les songes des forêts elles-mêmes. Pour cette nouvelle exposition à la galerie Mennour, la photographe convoque donc la figure de l’artiste en faune : elle n’agit pas en œil extérieur mais se fond aux massifs forestiers qui l’accueillent.

Au loin, l’horizon dessine une ligne imaginaire, jamais tout à fait engloutie par une obscurité qui s’étendra à mesure que le soleil disparaîtra derrière la mer — tard, de plus en plus tard en plein été, vite, très vite quand l’automne se transforme en hiver. Pour atteindre ces lieux qu’elle ne quittera qu’à l’aube, des Massifs de l’Esterel au printemps à ceux des Maures et du Tanneron en novembre, la photographe a souvent marché plusieurs heures dans des sentiers de garrigue, parmi les ronces et les buissons de genévriers, lestée de son matériel photographique dont l’œil aveugle accueillera ce qu’elle-même ne pourra entièrement voir. Les sites choisis, mis à l’abri des présences humaines le temps de la nuit, augurent la promesse d’une vie animale, végétale et minérale active. Des lieux empreints d’une énergie différenciée que Marie Bovo a rencontré au hasard de ses explorations ; des lieux sans point de vue spécifique, où les arbres sont les fils d’une tapisserie qui tantôt guident le regard, tantôt l’obscurcissent, lui font écran.

Malgré les intempéries, la pluie parfois, il faut que tout soit prêt pour la photographie, que le temps puisse suspendre son allégeance au jour, au cours usuel des choses, pour laisser s’installer la pose dans le défilement de secondes, de minutes et d’heures chronométrées intuitivement selon la trajectoire de la Lune. Et, si l’obscurité donne l’impression de tout recouvrir, le silence, lui, n’est jamais total. Ici et là, invisibles, bruissent toutes sortes de créatures, des minuscules aux plus étonnantes. Au cœur de la nuit, le souffle d’un vent agite soudainement les cimes de la canopée, surgissant comme une présence fantôme dans le silence. Ces forêts, ces maquis, respirent en territoires blessés perpétuellement menacés par le feu.

Tapie au milieu des bois, mi-éveillée, mi-endormie, l’artiste rêve. Elle rêvera d’ailleurs chaque nuit d’une pleine Lune tant redoutée dans l’imaginaire collectif quand, en réalité, la puissance de sa clarté scintillante devient un aimant dans l’obscurité. Et c’est bien l’étrangeté de cette lumière, émanée de la seule face visible de la Lune, qui permettra aux gris argentés des oliviers, aux bleus indéfinissables des pins d’Alep, aux ocres, aux violets des chênes lièges, teintes d’un paysage en perpétuel mouvement, de s’inscrire en creux de l’unique négatif où ils se déposeront, à mesure que les astres poursuivent leur révolution et que la nuit glisse vers le jour.

À chaque phase choisie dans le calendrier lunaire, devenu son bréviaire de travail, Marie Bovo sait qu’elle découvrira, a postériori seulement, ce qu’elle était venue chercher — l’image d’une présence autant que celle d’un espace.

La pluralité des arbres et des organismes sylvestres à l’oeuvre dans Les forêts d’Hypnos interroge la notion de composition dans l’art actuel : en serait-elle la métaphore ? Les relations d’échanges et d’entraides que la forêt crée, les compositions diversifiées qu’elle incarne pour maintenir collectivement en vie les sujets, recèlent un réseau de forces auprès desquelles trouver continuellement matière à se réorienter vers un futur ouvert.

Marcelline Delbecq

“… a plant has the memory of light: it remembers the colour of the last rays it captured. If those were infra-red rays and no other type of rays reached it after, the plant can be certain: it is night time. (…) It is thanks to its extraordinary sensitivity to night time that the plant knows when autumn and winter comes, and when spring returns.”

Estelle Zhong Mengual, “Apprendre à voir”

Les forêts d’Hypnos

Just before nightfall, in locations carefully chosen after having walked through them in the day time, Marie Bovo installs her photographic chambers in the forest, at the place she feels the moonlight will shed its light. Between Nice and Marseille, on the shores of the Mediterranean, where light pollution will not negate the night, she lets images that potentially carry the dreams of the forests form slowly, very slowly, on the surface of the film plate. For this new exhibition at Galerie Mennour, the photographer brings forward the figure of the artist as a faun: she doesn’t act as an external eye, but blends in with the forests welcoming her.

In the distance, the horizon draws an imaginary line, never entirely swallowed by a darkness that spreads as the sun disappears behind the sea - later, and gradually later at the height of summer, quickly and very quickly when autumn turns into winter. To reach those places that she only leaves at dawn, from the Massifs de l’Esterel in spring to the Massifs des Maures and Massif du Tanneron in November, the photographer often walked for several hours on the paths of the garrigue, among brambles and juniper bushes, loaded with photo equipment whose blind eye will take in what she will not be able to see entirely. The chosen sites, sheltered from human presence for the duration of the night, herald the promise of an active animal, vegetable and mineral life. Places imbued with a differentiated energy that Marie Bovo came across as she randomly explored; places without any specific points of view, where trees are the tapestry threads that at times guide the eyes, at times cloud them, block them.

In spite of the bad weather, rain sometimes, everything has to be ready for taking photographs, the weather has to suspend its allegiance to daylight, to the usual unfolding of things, in order to let the exposure settle in the flowing of seconds, minutes and hours intuitively timed following the trajectory of the Moon. Though the darkness gives the impression of shrouding everything, the silence is never complete. Here and there, invisible, all kinds of creatures rustle, from the tiniest to the most astonishing. In the heart of the night, a breeze of wind suddenly rustles the tops of the canopy, appearing like a ghost presence in the silence. Those forests, those maquis breathe as wounded territories continually threatened by the fire.

Hidden away in the middle of the woods, half-awake, half-asleep, the artist dreams. She will dream each night of a full Moon dreaded so much in the collective imaginary when, in reality, the power of its sparkling light becomes a magnet in the darkness. It is truly the strangeness of this light, emanating from the sole visible side of the Moon, that will enable the silver greys of the olive trees, the undefinable blues of the maritime pines, the ochres, the violets of the cork oak trees, hues of a landscape forever shifting, to be imprinted on the unique negative on which they will set, as the stars continue their revolution and the night moves towards the day. To each phase chosen in the moon calendar that has become her work breviary, Marie Bovo knows she will discover, a posteriori only, what she had come to seek - the image of a presence as much as that of a space.

The multiplicity of trees and woodland entities at work in Les forêts d’Hypnos questions the notion of composition in today’s art: could it be its metaphor? The relations of exchange and mutual aid that the forest create, the diversified compositions it embodies to keep alive, collectively, the subjects, conceal a network of forces in which one will continually find matter to reorientate oneself towards an open future.